Enquête sur le travail des retraités


Papy et Mamie rentrent du boulot


Plus de 300 000 retraités français ont décidé de reprendre une activité. Pour des raisons démographiques, ils seront de plus en plus nombreux. D’autant que la législation facilite le cumul emploi-retraite. Rencontre avec les précurseurs d’un nouveau phénomène.


Huit heures du matin, dans un petit deux-pièces de Bagneux. Christiane, 75 ans, se prépare à partir travailler. Face à la glace, elle replace quelques mèches blondes puis enfile un pardessus. Après dix minutes de voiture, elle rejoint un hôpital privé de la région parisienne où elle officie comme infirmière en bloc opératoire. Partie à la retraite en 1996, à 61 ans, cette belle femme aux grands yeux bleus retourne à l’hôpital trois ans plus tard, pour y effectuer un remplacement d’un mois. « Je devais partir en vacances au Vietnam, ce petit boulot m’a permis de mettre un peu d’argent de coté », explique-t-elle. A partir de là, l’hôpital ne va pas la lâcher. « Nous, les retraités, sommes des « bouche-trous » que l’on appelle quand les infirmières sont malades. On peut nous prévenir du jour pour le lendemain, précise-t-elle.

Christiane fait partie des 246 000 assurés du régime général qui cumulent  aujourd’hui pension et salaire. Un chiffre en forte progression. Ils étaient 18 % de plus en 2009 par rapport à 2008, confirmant l’élan observé ces dernières années  par l’assurance retraite: + 24% en 2007, + 22% en 2008. En 2003, un rapport remis au Conseil d’orientation des retraites estimait leur nombre à 300 000 personnes. Officiellement donc, seul 3 % des 16 millions de retraités français travailleraient. Une évaluation étonnamment basse quand on sait qu’ils seraient 15 % chez nos voisins helvétiques. Mais les chiffres français ne prennent pas en compte le régime de retraite des indépendants, ni l’emploi informel, non déclaré, très répandu dans ce type d’activité. Une chose est sûre, le secteur se développe.

C’est sous les combles d’un immeuble haussmannien du très chic 7e arrondissement de Paris que Bertrand Favre, 26 ans, diplômé d’HEC, a installé sa société, Bitwiin.com. Un site web qui met en relation recruteurs et seniors en recherche d’emploi. Une interface très pro aux couleurs bleu ciel et vert tendre, des personnages aux airs de Playmobil et un slogan qui claque : « L’expérience senior à votre service ». Dans la pièce exiguë, derrière leurs écrans ultraplats, les cinq jeunes collaborateurs de cette start-up s’activent au référencement du site, et à la publication des dernières annonces. Deux ans après la création, le site revendique 7 000 séniors inscrits et 4 000 mises en relation. « Avec le départ des baby-boomers, on prévoit 650 000 à 750 000 départs par an. C’est toute une génération qui va lâcher les reines du pouvoir », explique Bertrand Favre. « Mais ces gens là veulent garder un pied dans la vie active, ils en ont marre du cliché du retraité avec ses charentaises devant la télé ! ».

Les motivations des retraités sont aussi financières. La France comptera seulement 1,2 actif pour un retraité en 2020 selon le Conseil d’orientation des retraites. La caisse des retraites étant déjà déficitaire, les pensions versées seront plus modestes. A chacun de la compléter. Comme dans les pays anglo-saxons, où le système est moins solidaire, chaque actif devra constituer son propre pécule. C’est justement lors d’un voyage outre-Atlantique que Bertrand Favre, surpris de voir tant de personnes âgées occuper des postes de serveurs ou de caissiers, a eu l’idée de miser sur l’emploi des retraités. Il voit dans l’âge avancé de ces travailleurs un avantage : « Ils sont du coup très bien intégrés socialement ». Certes Bertrand Favre reconnaît que son site a un but lucratif, il le présente aussi comme un « service utile, d’intérêt public ».

Christophe Dougé, la quarantaine, a eu la même idée. Directeur d’une société de formation professionnelle à Saumur, dans le Maine-et-Loire, il est en permanence à la recherche d’intervenants, « des gens très pointus, expérimentés, mais très difficiles à dégoterPôle emploi n’est d’aucune aide, car les retraités ne sont pas comptabilisés dans les chiffres du chômage », souligne le dirigeant. En 2008, il décide de créer Jobretraite.fr pour y déposer ses propres annonces. Aujourd’hui, le premier site de recrutement de retraités compte plus de 2 000 inscrits, dont dix nouvelles inscriptions chaque jour. 


Chauffeur, cadre bancaire, juriste, commercial en vin, assistance maternelle, agent d’entretien, gérant de camping... Toutes les professions sont recherchées. Il existe pourtant une dualité du marché du travail des retraités (un peu jargon,  essaie de l’écrire de manière plus vivante). D’un côté des emplois très peu qualifiés, souvent manuels. « Bricoleur, c’est ce qui marche le mieux, signale Bertrand Favre. Le plus souvent, ce sont des pratiquants du dimanche qui se lance. Il n’y  a pas d’adéquation entre la catégorie socio-professionnelle et le métier exercé pendant la retraite. »  Une idée corroborée par Didier Blanchet, chef du département des études d’ensemble à l’INSEE et membre du Conseil d’Orientation des retraites : « Certains savoir-faire se dévalorisent avec l’âge. Certaines personnes sont alors hors circuits ou avec une employabilité réduite quand elles ne maitrisent pas les nouvelles technologies par exemple ». Ces retraités changent alors de domaine d’activité. Mais pas tous. Une partie d’entre eux continuent à exercer un travail d’expertise dans un domaine où leur expérience est valorisée.

Côté employeur, « ce sont les entreprises de petites tailles, PME, TPE ou les particuliers, qui recherchent le plus souvent », détaille Christophe Dougé. De petites structures qui ont des besoins ponctuels. Nul CDI ni même CDD, les retraités travaillent majoritairement à la mission. Jean-Pierre Lhuissier, 66 ans, formateur technique, a un statut de vacataire : « Le travail est très fluctuant, en fonction de la demande des entreprises. Certains mois, je n’arrête pas de courir, mais je peux facilement accepter ou refuser des missions. C’est assez flexible ». Chez Bitwiin, 90 % des offres concernent des services. Le plus souvent aux particuliers. Les employeurs apprécient l’expérience et la disponibilité des retraités, et trouvent qu’ils inspirent confiance. « Une image complètement différente du monde des grandes entreprises, qui voient les seniors comme une charge, des lourdauds coûteux et inadaptables », analyse Bertrand Favre. Un troisième âge, rajeuni, qu’Emilie Bastiani Guthleber, doctorante en ressources humaines à l’Ecole de Management de Strasbourg, désigne dans Passage, un abécédaire de la gestion des âges (association française des managers de la diversité, 2010), par le terme de « Jénior ». Ce néologisme  « introduit l’idée qu’il est possible et accepté d’être âgé et nouveau dans un métier, une fonction ». 

Jean Pierre Lhuissier a travaillé pendant 40 ans dans le traitement des pièces mécaniques. Il n’avait jamais envisagé d’être formateur. A l’heure de la retraite, il n’a pas eu envie de quitter le monde du travail. Trois collègues partis avant lui ont fait une dépression nerveuse. « Je me suis dit « non merci ! » Continuer dans la formation, me permet de transmettre mes connaissance et de quitter le monde professionnel très progressivement », explique-t-il. Son entourage n’y voit pas d’inconvénient. Sa femme, plus jeune, travaille encore. Jean-Pierre pense arrêter d’ici cinq ans quand elle deviendra retraitée à son tour.

De son côté, Christiane, l’infirmière en bloc opératoire, continuera aussi longtemps qu’elle le pourra. Mais elle a posé ses conditions. Pas plus de deux à trois jours par semaine, seulement le matin, et dans un service relativement calme. Après une carrière comme « accessoiriste » sur des opérations importantes du cœur ou des poumons, elle travaille désormais au service de stomatologie où elle peut être assise à certains moments afin de reposer un genou fragile. Pour l’hôpital, en manque chronique d’infirmières, les retraitées sont une réserve de main d’œuvre expérimentée et très flexible. « On coûte bien moins cher que des intérimaires, car l’hôpital ne paye ni de boite d’intérim ni de prime de précarité ». Si elle travaille par passion du métier, pour Christiane aussi c’est avantageux (attention : tic ! tu construis souvent tes phrases « si… ». reformule cette phrase sans cette construction). Elle peut faire gonfler sa pension de retraite de 1700 euros à 3 000 euros, l’équivalent de son salaire en fin de carrière. Une situation qui n’est pas représentative.

« Pour les trois quarts des retraités, la reprise d'une activité est motivée par un besoin financier. Seuls 25 % d'entre eux restent actifs par choix », rapporte Christophe Dougé de Jobretraite.fr « Certains m’appellent en me suppliant de leur trouver du travail », poursuit-il. Un signe de précarisation. « Le niveau de vie d’un retraité est à l’heure actuelle un peu plus bas que celui d’un actif, mais globalement il s’en sort mieux car il est plus souvent propriétaire de son logement et n’a plus d’enfants à charge , indique Didier Blanchet de l’INSEE. Mais d’ici à 2020, son niveau de vie devrait décrocher de 15 à 20 %. Le montant des retraites va baisser car l’Etat ne peut pas distribuer ce qu’il n’a pas ! ». En 2010, 12 % du PIB français était redistribué en retraites. « On a des garde-fous en la matière avec une retraite minimale, poursuit le spécialiste, mais l’Etat ne peut assurer le niveau de vie que chaque retraité espère. »

En assouplissant la législation, l’Etat encourage de fait, la reprise d’une activité. La création en 2005 du chèque emploi service a d’abord permis le développement les activités de services aux particuliers en facilitant le paiement du salarié et en avantageant fiscalement l’employeur. Instauré en 2008, le statut d’auto-entrepreneur est également très prisé des retraités car il permet l’inscription en ligne d’une société et simplifie le paiement des charges et cotisations sociales par l’entrepreneur. A l’inverse l’employeur, le bénéficiaire des services est dispensé de ces taxes. En 2009, la loi de financement de la sécurité sociale, elle, a assoupli les conditions de cumul d'un emploi et d'une retraite. La reprise d'activité est désormais autorisée sans restriction à partir de 60 ans, sous réserve d'avoir cotisé suffisamment pour bénéficier d'une retraite à taux plein. L’âge, les revenus, et le nombre d’heures travaillées ne sont alors pas plafonnés. « Il y a deux ans encore, le travail des retraités était tabou, même dans la famille, car il donnait l’impression d’être dans le besoin. Aujourd’hui légalement c’est possible. Le gouvernement, à travers ces mesures, reconnaît le travail comme une valeur importante », se réjouit Bertrand Favre.

Reste à savoir s’il est raisonnable de faire travailler les retraités, dans un pays où le chômage frôle les 10%. « Le travail des retraités aura de l’avenir, s’il repose sur l’expérience que l’on peut apporter. S’il s’agit de piquer le travail qu’un jeune peut effectuer, alors là c’est inadmissible ! », s’indigne Jean-Pierre Lhuissier. Didier Blanchet reconnaît que certes, les retraités, en proposant des prix plus bas, peuvent exercer une concurrence sur les emplois les moins qualifiés, mais tous les postes ne sont pas concernés. « Les missions ponctuelles remplies par les retraités, ne sont pas suffisante pour faire vivre une personne en âge de travailler, qui est plutôt à la recherche d’un CDI voire d’un CDD ».

Néanmoins, à plus long terme, le développement du travail des retraités risque de modifier l’équilibre des familles en atténuant les distinctions entre générations. L’idée transparait sur les réseaux sociaux depuis la dernière réforme des retraites. Sur Facebook, les groupes sur le sujet se sont multipliés. « Dis Papy, tu nous racontes une histoire ? » - « Non, les enfants je dois partir au travail ». Ou bien, « - A ton âge je travaillais, ma fille ». –« Oui Mamie, et moi à ton âge je travaillerai encore ». En attendant, ces super-grands parents en activité, cotisent sagement pour la retraite de leurs descendants… 

Procès Mamodtaky, compte-rendu d'audience



L’ombre de la politique malgache plane sur le procès Mamodtaky


9 ans plus tard et 9 000 km plus loin, le procès de la tuerie de Fénoarivo, s’est ouvert le 26 octobre dernier à la cour d’assises de Paris. Une vengeance familiale qui a fait cinq morts et une dizaine de blessés à Madagascar. Dans le box des accusés, Mamodtaky, un personnage craint sur l’Ile car proche des puissants. Sur les bancs des parties civiles, les Remtoula, une influente famille de la communauté Karanas. Au fil de l’audience, les magouilles politiques qui ont cours à Madagascar éclatent au grand jour.


Un troisième procès, sans doute le plus impressionnant. Trois semaines d’audience à la cour d’assises de Paris, des ténors du barreau comme Me Collard ou Me Dupont-Moretti et des visio-conférences en direct du tribunal d’Antananarivo afin de recueillir les dépositions des témoins. Après un non-lieu à Madagascar et un procès annulé pour vice de forme à la Réunion, Mamodtaky, ses beaux-frères, Babar Ali, Damdjy et le Réunionnais Jean-François Crozet, sont à nouveau accusés, par la justice française, d’avoir tué cinq membres de la famille.

Au troisième jour du procès, c’est au tour d’Anita Remtoula, l’ex-femme de Mamodtaky de témoigner à la barre des événements du 21 avril 2001. Un « jour maudit » pour cette belle femme, âgée de 25 ans au moment des faits et qui semble, depuis, avoir vieilli trop vite. Par un beau dimanche du mois d’avril, le clan Remtoula passe la journée dans une villa de Fénoarivo, à quelques kilomètres d’Antananarivo. « On a déjeuné tous ensemble, puis les hommes jouaient aux boules, les femmes discutaient en préparant des brochettes sur la terrasse, raconte Anita. Vers 18 heures on a entendu des coup de feu, mais mon père pensait que les enfants jouaient avec des pétards ». Touchée à la poitrine et au sexe, Anita est emmenée d’urgence à l’hôpital par son père, ainsi que son frère Alexandre, atteint de huit balles dans le dos. Quand elle se réveille, on lui apprend que cinq personnes de sa famille, sa tante, ses neveux et son frère, sont décédées dans la tuerie. Pour elle, pas de doute, c’est l’œuvre de son ex-mari. « Je l’ai reconnu, qui me tirait dessus », affirme-t-elle. Il l’avait déjà menacé, des semaines auparavant, de tuer sa famille si elle le quittait.

De l’île malgache à l’île de la Cité
Si le couple se fait de nouveau face, neuf ans plus tard, au tribunal de Paris, c’est que les protagonistes de l’affaire ne sont pas n’importe qui. Grands commerçants, les Remtoula font partie de la communauté Karanas. Une minorité indo-pakistanaise arrivée sur l’île au début du 20e siècle pour construire des chemins de fer, mais qui a réussi dans les affaires et constitue désormais la majorité des grossistes et industriels du pays. Ils seraient aujourd’hui 20 000, sur les 17 millions de Malgaches, mais contribueraient à un tiers du PIB du pays. Victime de discrimination, cette communauté très enviée s’est vue refuser, à l’indépendance du pays, en 1960, la nationalité malgache et a opté pour la nationalité française. Ce qui explique, qu’Anita Remtoula ait décidé de porter l’affaire devant la justice française.

« Le ministre venait se servir au magasin »
Veston noir et chemise blanche parfaitement repassée, Mamodtaky, la quarantaine, porte encore sur lui, les traces d’un passé faste. Malgré la détention, il apparaît dans le box comme un homme élégant. Entrepreneur dans le commerce de l’électroménager et de l’électronique, il menait la grande vie. Décrit par ceux qui le connaissent comme « quelqu’un de puissant », il a baigné pendant des années dans le climat de corruption ambiant qui sévissait sur l’île. « Le ministre de la Justice avait l’habitude de venir se servir au magasin », témoigne Anita Remtoula. « Cela ne m’étonne donc pas, il a dû graisser la patte des juges malgaches pour obtenir un non-lieu ». Après son ex-femme, c’est son ancien beau-père, qui ajoute: « Demandez qui il est, et vous verrez, ils ont tous peur de lui  à Madagascar ». Avant de poursuivre : « Il a soif de pouvoir, il veut être quelqu’un ». Mais avec les multiples rebondissements qu’a connus la vie politique malgache, Mamodtaky semble avoir été lâché par les siens. « S’il a été finalement extradé en 2009, c’est grâce au changement de gouvernement à Madagascar», rapporte à l’audience Laurence Turbe-Dion, présidente de la cour d’assises.

Les méandres de la politique malgache
La famille Remtoula a également ses relais politiques. Quelques jours avant le massacre, Anita et son frère Alexandre rencontraient à l’hôtel Hilton, Patrick Rajaonary, le candidat des Karanas à la présidentielle, prévue pour la fin de l’année. Ils lui font part des menaces qui pèsent sur leur famille. « Qu’attendiez-vous de lui ? », questionne Laurence Turbe-Dion. « A Madagascar il n’y a pas de justice, on ne savait plus vers qui se tourner… », se justifie Anita. « On attendait qu’il agisse, car il était réputé comme l’un des seuls politiques non corrompu ». Autre fait notoire : afin d’être sûre d’obtenir la garde de son fils, Anita avoue avoir fait pression sur un procureur général, en expliquant qu’elle était « au courant de beaucoup de choses  ». Une carte qu’exploitent les avocats de la défense alors qu’au fil de l’audience les témoignages accablent Mamodtaky. Une ultime ligne de défense : la théorie du complot. « Si vous saviez tant de chose, ne peut-on pas alors imaginer que l’Etat malgache soit venu vous tuer ? », questionne Me Dupont-Moretti.

Absence de traces ADN, disparition de scellés, enquête bâclée… les faibles moyens de la justice malgache n’aident en rien la recherche de la vérité. Le climat de corruption et de magouilles ne vient que complexifier une affaire déjà rocambolesque. Après neuf ans de saga judiciaire, ponctués d’évasion, de corruption et d’une cavale jusqu’en Ouganda, le verdict est attendu pour la mi-novembre.


                                   (Article rédigé lors du procès en novembre 2010)  Pauline Pellissier

Mamie Lucienne, une retraite sous les paillettes


Lucienne Moreau
Une retraite sous les paillettes


Après 40 ans de boulots précaires, cette comédienne révélée sur le tard, a trouvé dans Le Petit Journal de Canal+ un rôle à la hauteur de ses espérances : une drôle de mamie que l’on rêve tous secrètement d’avoir.



« C’était la soirée chic hier à Paris, une dégustation de Bordeaux à l’Hôtel Bristol… », scande l’expéditive voix off. En direct de la rue du Faubourg Saint-Honoré, pour la réception des Trois coups de l’Angelus, Le Petit Journal de Canal + a missionné son reporter de choc, Lucienne. Et tant pis si elle a une angine. « J’ai la voix cassée, mais on va quand même se la coller », annonce-t-elle en riant. Lucienne Moreau a l’apparence d’une septuagénaire, comme on en croiserait au marché du coin. Mais pas seulement. Une diction parfaite où chaque mot est prononcé bien distinctement, un sourire persistant d’où surgit de petites dents et des cheveux de fils blancs en petites boucles aussi régulières et abondantes qu’une perruque de clown. Autant d’atouts télégéniques. Lucienne passe entre les tables, enchaîne les bises pour transmettre ses microbes à Pierre Arditi, Nikos Aliagas et Stéphane Bern réunis pour l’événement. Avant de conclure par un « Ah oui… hein… ils sont complètement bourrés ces people « ! Mamie Lucienne est devenue l’une des stars de la chronique de Yann Barthès. Derrière son micro de speakerine, cette grand-mère rondelette présente une à deux fois par semaine son « Lucienne live report ».

Habillée très simplement d’un pull col roulé de laine rouge et d’un pantalon en coton beige, Lucienne reçoit ce mardi après-midi chez son amie Rita, dans la cuisine d’une confortable maison située entre la mairie et le Monoprix d’Argenteuil (Val-d’Oise). En réalité, Lucienne raconte qu’elle réside avec l’un de ses fils un peu plus loin dans le quartier d’Orgemont, « une cité, enfin, une résidence c’est comme ça qu’on doit dire aujourd’hui ». Elle préfère venir passer ses après-midi chez Rita, une ancienne employée du groupe TF1. Elles discutent en fourrant des fruits à la pâte d’amande, répondent aux appels sur leurs portables, et enfilent les verres de Pulco orange. Les deux amies se sont rencontrées il y a sept ans, quand le mari de Rita est tombé gravement malade. Lucienne l’a épaulée. A soixante-dix ans, la mamie pas encore cathodique proposait ses services de ménagère afin de compléter sa maigre retraite. Conséquence d’une vie de précarité.

Née en 1933 près de Laval en Mayenne, Lucienne grandit dans une famille d’agriculteurs. Traite des vaches, récoltes de fruits et des légumes… la jeune fille met la main aux pis. Son frère reprend l’exploitation, Lucienne doit partir trouver du travail. Elle tient une épicerie, à quelques kilomètres de là, dans le village de Rénazé, puis un bar à Laval. Dans les années 60, elle devient ouvrière dans les filatures lilloises, puis veilleuse de nuit à l’hôpital. De cette vie d’errance à la recherche de travail naissent cinq enfants. Deux d’entre eux seront volés par leur père et emmenés avec lui à l'étranger. Lucienne passera huit ans sans les voir. Une fois majeurs, ils se décideront à la rejoindre en France. En 1988, Lucienne part à la retraite. En 1992, c’est à Argenteuil qu’elle s’installe pour se rapprocher de sa progéniture, vivant en région parisienne.

En 1999, mamie Lucienne tombe sur une petite annonce, « dans un journal gratuit ! » aime-t-elle préciser. L’agence de mannequin Masters recherchait alors des séniors pour un casting. Ni une, ni deux, elle se présente. Banco. Figuration à la télé, petit rôle dans le film Qui a tué Bambi ? de Gilles Marchand en 2003 et surtout des publicités. Toyota, Vico enfin Cetelem pour qui elle joue la mamie-tricot. Elle rejoint aussi la bande de vieux Grolandais qui peuple l’émission  de Jules-Edouard Moustic, fait quelques apparitions dans la série H avant d’être recrutée par Le Petit Journal. «Financièrement, cela donne de beaux compléments », reconnaît-elle pudiquement. Chez Groland, on peut compter sur 90 euros brut par jour pour un figurant, 251 euros par jour pour un acteur. Dans la petite chambre touchant la cuisine, elle sort fièrement sur le lit les différents cadeaux ramenés de ses événements VIP. Un tablier de chef étoilé, du parfum, et un soutien-gorge bonnet C. 

Aujourd’hui, on la sollicite en moyenne deux fois par semaine. « Si c’est tard, j’y vais en taxi, mais sinon je prends les transports en commun ». Sur place, elle retrouve un cameraman, un preneur de son et une liste d’idées de bêtises et de choses à dire. « Ils me disent un peu quoi faire, mais j’improvise aussi! ». Et alors ils sont comment nos people ? « Tous vraiment sympa, s’enthousiasme-t-elle, sauf Bernadette Chirac, qui nous a complètement ignorés ! » Elle a sûrement dû voir en Lucienne une rivale potentielle. Mamie Lucienne préfère parler de ses petits chouchous : José Garcia, Pierre Arditi et Jean-Paul Gauthier. « Elle est très copine avec lui, il l’embrasse comme du bon pain ! », s’exclame Rita. « La prochaine fois, il veut même que je défile pour lui  », ajoute Lucienne en rougissant. Son rêve désormais, c’est de décrocher un rôle puissant à la Tatie Danielle.

« Lucienne a eu une vie toute simple, elle est née paysanne et désormais elle a ses entrées chez Chanel et Jean-Paul Gauthier », résume Rita. Une success story tardive, « mais vaut mieux tard que jamais » complète Lucienne. Après tout, comme le disait si bien Andy Warhol, « chacun a droit à ses 15 minutes de célébrité. » Avec Lucienne, cela dure juste un peu plus longtemps.

Texte & photos: Pauline Pellissier



En 5 dates
1933 Naissance en Mayenne
1988 Départ à la retraite
1992 Installation à Argenteuil
1999 Inscription dans une agence de mannequin
2010 Le Petit Journal sur Canal +