Les doléances des maires de banlieues
« Enclavement, chômage, échec scolaire, mal logement, pénurie des services publics ». C’est le constat que dressent 46 maires de quartiers sensibles dans une Lettre à ceux qui ignorent les banlieues. Ils attendaient, mardi, l’annonce de mesures concrètes par le Premier ministre, François Fillon. Ils vont devoir attendre 2011.
« Il faut agir vite, sinon nos banlieues vont exploser ». Claude Dilain, maire PS de Clichy-sous-Bois et président de l’association Ville et banlieue, s’inquiète de la dégradation de la situation dans les banlieues sensibles. A défaut de la grande réforme attendue par les maires des quartiers, le gouvernement s’est contenté de relancer le Conseil National des Villes qui existe pourtant depuis 1988. Rédacteur de la Lettre à ceux qui ignorent les banlieues, M. Dilain estime que sept domaines requièrent une action rapide des pouvoirs publics afin d’endiguer le cercle vicieux qui entraîne ces quartiers vers le bas.
Education
Les établissements scolaires des banlieues sensibles accueillent 10% des étudiants français. Leur retard scolaire est visible dès la 6e. Professeurs remplaçants, classes surchargées gênent l’apprentissage. Le niveau social des parents est un facteur déterminant, selon l’ONZUS (Observatoire national des zones urbaines sensibles). 62% des élèves inscrits dans ces établissements vivent dans des foyers défavorisés. A la sortie du système scolaire, 66% des jeunes actifs de moins de 20 ans n’ont pas de diplôme. L’association Ville et Banlieue préconise un fort investissement de l’Etat dans la formation tant professionnelle qu’initiale.
Emploi
Dans les 751 quartiers éligibles à la politique de la ville, le taux de chômage atteint les 22%, contre 10% sur le territoire national. Le chômage touche deux fois plus de jeunes que dans les autres quartiers. Les habitants de ces communes sont très dépendants des aides sociales. A Rillieux-la-Pape (Rhône) sur 100 personnes qui accèdent à un logement social, 18% survivent grâce aux minima sociaux contre 8% en 2000. « La situation se détériore, la population se précarise », analyse Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape, « il y a de plus en plus de familles monoparentales en grande difficulté ».
Santé
Le taux de morbidité, plus élevé qu’ailleurs prouve que l’accès aux soins reste difficile dans les banlieues. Les professionnels de santé sont sous-représentés. Il y a trois fois moins d’infirmiers que dans les autres villes. Les médecins aussi sont peu présents et la Couverture Maladie Universelle n’est pas toujours acceptée. Une solution possible : développer des centres de santé de proximité.
Equipements sportifs
Les espaces de loisirs, essentiels à l’épanouissement de la population, sont rares dans les quartiers difficiles. A Argenteuil (Val-d’Oise), la piscine municipale n’a pas été rénovée depuis 1964. A Sarcelles (Val-d’Oise), la mairie fait construire un circuit de F1. « Création plus que discutable », s’insurge Daniel Blanc, directeur d’une association d’aide à l’emploi et au logement de Sarcelles, « il faudrait dépenser notre énergie pour des équipements culturels et sportifs accessibles à tous ».
Sécurité
« Le problème n’est pas la sécurité », explique Claude Dilain, « personne n’est pour l’insécurité » mais elle découle de la situation générale de ces villes. Pour M. Dilain, il faut agir à la source en investissant dans l’éducation, le logement, l’emploi et la santé.
Logement
8 millions d’habitants vivent dans les quartiers sensibles. Ces villes regroupent l’essentiel des logements sociaux et dépassent souvent le quota de 20% imposé par l’Etat. Le maire de Rillieux-la-Pape, Renaud Gauquelin, compte 57% de logements sociaux dans sa commune dont 75% dans la ville « nouvelle ». Mais ce type d’habitat coûte cher aux villes défavorisées en pompant sur leurs budgets en piteux état.
Finances locales
« La question est de savoir si l’on donne à ces communes les plus pauvres des moyens égaux à ceux des autres ! », s’insurge Claude Dilain. Il affirme avoir des moyens « trois à quatre fois inférieurs à ceux d’autres villes ». Le maire d’Argenteuil a même organisé, le 7 mai dernier, un conseil extraordinaire devant la sous préfecture du Val-d’Oise, pour dénoncer le désengagement de l’Etat et les coupes financières dans l’ensemble des services publics. Les maires souhaitent que l’état garantisse leurs ressources, en tant que garant de la solidarité nationale. « Si je ne touche plus d’aides, je ferme la maison ! », menace le maire de Rillieux-la-Pape.
30 ans d’échec de la politique de la ville
Voilà plus de trente ans que les pouvoirs publics tentent de remédier aux maux des quartiers. D’abord regroupée sous le nom d’« actions pour le développement social des quartiers », il faut attendre 1991 pour que la politique de la ville ait un ministère propre. 11 ministres s’y succèderont en 17 ans. Le plus célèbre, Bernard Tapie, démissionnera trois jours après avoir proposé son plan pour les banlieues en 1992. Chaque ministre y est allé de son appellation: Des ZEP (Zone d'éducation prioritaire lancée en 1981) au PNRU (programme de rénovation urbaine) en passant par ZRU (Zone de redynamisation urbaine) les ZFU (Zone franche urbaine) ou les CUCS (contrats urbains de cohésion sociale). Depuis, les moyens utilisés ont été énormes. 840 millions d'euros sur six ans pour les grands projets de villes en 1999, 30 milliards d’euros sur cinq ans pour l’Agence nationale pour la rénovation urbaine crée en 2003, 500 millions d’euros annuels pour l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances crée en 2007. Pour quel résultat ? « La politique de la ville a été marquée par l'imprécision des objectifs comme de sa stratégie et par une volonté d'affichage qui conduit à la mise en œuvre périodique de nouveaux dispositifs" estimait la Cour des comptes dans un rapport en 2002. Rien de nouveau depuis. En cause : insuffisances, surcoûts et autres dysfonctionnements. Un empilement de mesures qui n'a jusqu’à présent pas réussit à réduire l’ampleur de la ségrégation sociale et ethnique dans les quartiers.
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