Enquête dans le monde de la télé


Enquête


Les secrets de fabrication
de vos émissions télé




Le printemps, les vacances d’été, puis la rentrée… chaque moment de l’année est l’occasion idéale pour lancer de nouvelles émissions sur le petit écran. Après le come back de la Roue de la Fortune, puis de Tournez manège sur TF1, c’est au tour de France 3 de ressortir prochainement des tiroirs Fa Si La Chanter. De son côté, la Chaîne Parlementaire vient de lancer une émission politique d’un nouveau genre, où des jeunes interpellent en face à face un homme politique en le recevant chez eux ou dans leur entreprise. On n’est pas très loin des causeries au coin du feu du Président Giscard d’Estaing en… 1975 ! La télévision est un éternel recommencement (mais ça on le savait déjà !). Mais que ce soit pour un nouveau concept ou une remise au goût du jour, tout est savamment pensé, analysé et testé à l’avance. Coup de projecteur sur ces étapes de conception que l’on vous cache. 

Tout commence dans les sociétés de production. On en compte plus de 1200 en France. Le producteur est le plus souvent un petit entrepreneur : 60% des sociétés emploient moins de 20 personnes. Même si, depuis quelques années, de grandes multinationales comme Endemol ou Fremantle, filiale du groupe RTL, apparaissent sur le marché. Tout va très vite, une émission peut se créer en un mois. Il faut dire que la visibilité ne permet guère au producteur de regarder au-delà de six mois à un an.

Un pitch pour convaincre les chaînes
Première étape : les producteurs conçoivent un «  pitch » qui devra convaincre les responsables des programmes des chaînes. L’objectif ? Se distinguer  des 500 autres projets reçus dans l’année par certaines unités. Comment ?  En ramassant sur quelques lignes ou quelques mots, de manière efficace et percutante la promesse du programme. Une fois cette étape passée, on demande au producteur de fabriquer un prototype de l’émission. C’est ce qu’on appelle le pilote. Très abouti, animateurs, décor, musique sont déjà en place, il est là pour donner envie à la chaîne de l’acheter et de le diffuser. Le pilote devient alors une vitrine de la boîte de production.

Des relations ambiguës
Certaines boîtes de productions ont des contrats exclusifs avec une chaîne. C’est le cas d’Endemol avec TF1 pour son acces prime time (18-20h). NRJ 12 travaille régulièrement avec Ah ! Production, une société spécialisée dans les programmes de divertissement. Quand NRJ 12 commande un concept à cet intermédiaire, elle est quasiment sûre d’acheter une émission qui correspondra à ses attentes ainsi qu’à celles de ses téléspectateurs.  Ah ! Production, par exemple,  développe pour le mois de juin une série d’émissions de 52 minutes avec l’acteur, Said Taghmaoui. Une caméra le suivra dans ses déplacements aux États-Unis, à Los Angeles, et au Maroc. La société prendra ensuite contact avec la chaîne la plus susceptible d’être intéressée par l’idée. C’est de cette façon que cette société a créée et réalisé Fans des années 80, présentée par Laurence Boccolini. « Nous sommes trois au développement. Nous nous inspirons de tout. De ce qui se passe à l’étranger. De la presse. Les idées peuvent venir en fonction de la chaîne pour laquelle nous voulons travailler », explique Antoine Henriquet, le directeur de la société.

La trash attitude
Les boîtes de production peuvent aussi racheter un concept à l’étranger.  « C’est ce qu’il  y a de plus simple », selon M. Henriquet. Si le « programme a eu du succès dans un autre pays, nous sommes à peu près sûrs qu’il sera bien accueilli en France. Nous rachetons surtout les audiences de l’émission », ajoute-il.  Mais les émissions sont rarement diffusées telles quelles en France. « Les programmes américains sont beaucoup plus trash. Les émissions importées sont généralement revues à la sauce française pour qu’elles fonctionnent dans l’hexagone » confie Kévin Vatant, rédacteur en chef de morandini.com, site Internet d’informations sur les médias. La boîte de production acquiert les droits d’auteur du concept étranger. Elle les possède ensuite en exclusivité pour six mois, période pendant laquelle elle doit les revendre à une chaîne française. « J’essaye aussi d’avoir des coups d’avance en repérant des concepts à l’étranger avant même qu’ils soient produits. Nous travaillons avec deux sociétés américaines avec laquelle nous échangeons des idées », explique le producteur. Ces processus concernent surtout les chaînes privées. Elles ont comme impératif de survie d’être rentable. Une forte audience est donc indispensable.


L’exception France Télévision
France Télévisions n’est pas soumise à ces contraintes. Une émission peut  rester sur une chaîne du service public même si son audience est faible. Vous aurez le dernier mot de Franz Olivier Gisbert sur France 3 ne recueille que 5 % de parts d’audience mais conserve son créneau horaire. En revanche, Campus sur la même chaîne a été reléguée sur une chaîne du groupe sur la TNT, ne réalisant que 8 % de parts d’audience. Le service public délivre un « cahier des charges » à chaque chaîne. Il répertorie l’ensemble des créneaux horaires d’une journée et doit compter un nombre précis d’émissions de culture, de divertissement, de science, etc. Un pilote n’est pas systématiquement tourné avant la diffusion de l’émission, et lorsque c’est le cas, il correspond plus à une répétition générale. La plupart des émissions du groupe France Télévisions sont produites en interne, ce qui n’est quasiment pas le cas des chaînes privées.

Pour la mise à l’antenne, le jugement le plus délicat reste celui des téléspectateurs. Du générique, au décor, en passant par l’animateur, chaque étape de l’émission est passée au crible. Les chaînes peuvent débourser jusqu’à 12 000 euros, pour tester leur concept sur un panel d’individus. Une première évaluation qualitative s’effectue par groupe de 8 ou 9 personnes représentant le cœur de cible de l’émission. Les analystes recueillent auprès de ces panels de téléspectateurs, les réactions brutes après diffusion du programme. « Le visionnage peut se faire dans une salle commune, mais le plus souvent, il s’agit de regarder le programme chez soi dans les conditions les plus réelles possibles », explique Pierre Gaillardon, responsable des études dans l’institut de sondage, Qualiquanti. Pour une émission destinée à être diffusée à 18h, une mère au foyer peut alors expliquer si elle a pu suivre le programme alors qu’elle avait ses enfants auprès d’elle. A-t-elle réussi à gérer le bain des enfants, les devoirs et le repas du soir en même temps ?

Pour les chaînes à plus gros budget, une analyse sémiologique supplémentaire est possible. Un sémiologue décrypte les différentes expressions et les réactions des candidats à une émission. Ces signaux peuvent être en contradiction avec les objectifs de la chaîne et permettent de mieux décoder le discours des téléspectateurs. Pourtant, Pierre Gaillardon, s’étonne : «certains concepts qui ont réussi les tests ne passent jamais à l’antenne. A l’inverse, d’autres moins réussis sont diffusés, sans que les modifications préconisées par l’institut de sondage n’aient été appliquées ». Malgré un processus très sélectif et rationnel, il reste donc bien une part de mystère dans la recette des émissions télévisées.

Des millions d’euros en jeux
« Le problème en télé est la durée entre le développement et la vente. Seul un dossier sur 50 aboutit à une diffusion. Les chaînes achètent peu pendant l’année. Une chaîne comme TF1 n’a pas lancé beaucoup de nouvelles émissions en 2010 », explique Antoine Henriquet. La frilosité des chaînes n’est pas la seule en cause. Certaines d’entre elles ont connu des échecs cuisants malgré la conception d’un pilote et les différents tests qu’il a subis
Sachant qu’un pilote coûte entre 2 000 et 3 000 euros pour une émission sur la TNT et « plusieurs millions d’euros pour une émission comme la Star Academy », selon Kévin Vatant, la facture était salée pour la sixième chaîne.
Acheter une émission, c’est-à-dire un pilote, à une boîte de production constitue une énorme prise de risque pour une chaîne de télévision. Heureusement pour elles, ce type d’échec est rare et la plupart des pilotes validés deviennent de véritables succès d’audience.


Article co-écrit avec Sophie Noachovitch

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