Procès Mamodtaky, compte-rendu d'audience



L’ombre de la politique malgache plane sur le procès Mamodtaky


9 ans plus tard et 9 000 km plus loin, le procès de la tuerie de Fénoarivo, s’est ouvert le 26 octobre dernier à la cour d’assises de Paris. Une vengeance familiale qui a fait cinq morts et une dizaine de blessés à Madagascar. Dans le box des accusés, Mamodtaky, un personnage craint sur l’Ile car proche des puissants. Sur les bancs des parties civiles, les Remtoula, une influente famille de la communauté Karanas. Au fil de l’audience, les magouilles politiques qui ont cours à Madagascar éclatent au grand jour.


Un troisième procès, sans doute le plus impressionnant. Trois semaines d’audience à la cour d’assises de Paris, des ténors du barreau comme Me Collard ou Me Dupont-Moretti et des visio-conférences en direct du tribunal d’Antananarivo afin de recueillir les dépositions des témoins. Après un non-lieu à Madagascar et un procès annulé pour vice de forme à la Réunion, Mamodtaky, ses beaux-frères, Babar Ali, Damdjy et le Réunionnais Jean-François Crozet, sont à nouveau accusés, par la justice française, d’avoir tué cinq membres de la famille.

Au troisième jour du procès, c’est au tour d’Anita Remtoula, l’ex-femme de Mamodtaky de témoigner à la barre des événements du 21 avril 2001. Un « jour maudit » pour cette belle femme, âgée de 25 ans au moment des faits et qui semble, depuis, avoir vieilli trop vite. Par un beau dimanche du mois d’avril, le clan Remtoula passe la journée dans une villa de Fénoarivo, à quelques kilomètres d’Antananarivo. « On a déjeuné tous ensemble, puis les hommes jouaient aux boules, les femmes discutaient en préparant des brochettes sur la terrasse, raconte Anita. Vers 18 heures on a entendu des coup de feu, mais mon père pensait que les enfants jouaient avec des pétards ». Touchée à la poitrine et au sexe, Anita est emmenée d’urgence à l’hôpital par son père, ainsi que son frère Alexandre, atteint de huit balles dans le dos. Quand elle se réveille, on lui apprend que cinq personnes de sa famille, sa tante, ses neveux et son frère, sont décédées dans la tuerie. Pour elle, pas de doute, c’est l’œuvre de son ex-mari. « Je l’ai reconnu, qui me tirait dessus », affirme-t-elle. Il l’avait déjà menacé, des semaines auparavant, de tuer sa famille si elle le quittait.

De l’île malgache à l’île de la Cité
Si le couple se fait de nouveau face, neuf ans plus tard, au tribunal de Paris, c’est que les protagonistes de l’affaire ne sont pas n’importe qui. Grands commerçants, les Remtoula font partie de la communauté Karanas. Une minorité indo-pakistanaise arrivée sur l’île au début du 20e siècle pour construire des chemins de fer, mais qui a réussi dans les affaires et constitue désormais la majorité des grossistes et industriels du pays. Ils seraient aujourd’hui 20 000, sur les 17 millions de Malgaches, mais contribueraient à un tiers du PIB du pays. Victime de discrimination, cette communauté très enviée s’est vue refuser, à l’indépendance du pays, en 1960, la nationalité malgache et a opté pour la nationalité française. Ce qui explique, qu’Anita Remtoula ait décidé de porter l’affaire devant la justice française.

« Le ministre venait se servir au magasin »
Veston noir et chemise blanche parfaitement repassée, Mamodtaky, la quarantaine, porte encore sur lui, les traces d’un passé faste. Malgré la détention, il apparaît dans le box comme un homme élégant. Entrepreneur dans le commerce de l’électroménager et de l’électronique, il menait la grande vie. Décrit par ceux qui le connaissent comme « quelqu’un de puissant », il a baigné pendant des années dans le climat de corruption ambiant qui sévissait sur l’île. « Le ministre de la Justice avait l’habitude de venir se servir au magasin », témoigne Anita Remtoula. « Cela ne m’étonne donc pas, il a dû graisser la patte des juges malgaches pour obtenir un non-lieu ». Après son ex-femme, c’est son ancien beau-père, qui ajoute: « Demandez qui il est, et vous verrez, ils ont tous peur de lui  à Madagascar ». Avant de poursuivre : « Il a soif de pouvoir, il veut être quelqu’un ». Mais avec les multiples rebondissements qu’a connus la vie politique malgache, Mamodtaky semble avoir été lâché par les siens. « S’il a été finalement extradé en 2009, c’est grâce au changement de gouvernement à Madagascar», rapporte à l’audience Laurence Turbe-Dion, présidente de la cour d’assises.

Les méandres de la politique malgache
La famille Remtoula a également ses relais politiques. Quelques jours avant le massacre, Anita et son frère Alexandre rencontraient à l’hôtel Hilton, Patrick Rajaonary, le candidat des Karanas à la présidentielle, prévue pour la fin de l’année. Ils lui font part des menaces qui pèsent sur leur famille. « Qu’attendiez-vous de lui ? », questionne Laurence Turbe-Dion. « A Madagascar il n’y a pas de justice, on ne savait plus vers qui se tourner… », se justifie Anita. « On attendait qu’il agisse, car il était réputé comme l’un des seuls politiques non corrompu ». Autre fait notoire : afin d’être sûre d’obtenir la garde de son fils, Anita avoue avoir fait pression sur un procureur général, en expliquant qu’elle était « au courant de beaucoup de choses  ». Une carte qu’exploitent les avocats de la défense alors qu’au fil de l’audience les témoignages accablent Mamodtaky. Une ultime ligne de défense : la théorie du complot. « Si vous saviez tant de chose, ne peut-on pas alors imaginer que l’Etat malgache soit venu vous tuer ? », questionne Me Dupont-Moretti.

Absence de traces ADN, disparition de scellés, enquête bâclée… les faibles moyens de la justice malgache n’aident en rien la recherche de la vérité. Le climat de corruption et de magouilles ne vient que complexifier une affaire déjà rocambolesque. Après neuf ans de saga judiciaire, ponctués d’évasion, de corruption et d’une cavale jusqu’en Ouganda, le verdict est attendu pour la mi-novembre.


                                   (Article rédigé lors du procès en novembre 2010)  Pauline Pellissier

1 commentaires:

Anonyme a dit…

et la suite ? le procès se joue en appel à Créteil depuis lundi !!!!

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